Comprendre pour anticiper
En 2020, De nombreux voyageurs qui n’avaient pas prévu de passer la saison cyclonique aux Antilles, s’y sont retrouvés bloqués par la Covid, j’en faisais partie. A terre comme en mer, il faut bien s’adapter, comprendre la météo tropicale et se préparer au pire le cas échéant.
Un article de Maud Zanlonghi
Pour bien comprendre cet article il faudra avoir lu au préalable l’article suivant sur les phénomènes généraux qui régissent la météorologie :
https://www.casedepartnautique.fr/meteo-phenomenes-generaux/
Comprendre pour anticiper
Passer la saison cyclonique aux Antilles n’est pas à prendre à la légère, et ce encore moins lorsque l’on voyage en voilier. Elle commence début mai et se termine début novembre. Contrairement à la métropole, la météorologie des tropiques se définie par son instabilité. Une tempête d’hiver en métropole, ne pose pas franchement de problèmes aux météorologues. On la voit arriver depuis longtemps, pour ainsi dire son évolution est stable, même si elle peut être rapide. Sous les tropiques, c’est exactement l’inverse!!!! Les systèmes météorologiques peuvent passer du tout au tout en quelques heures.
Il faut bien comprendre que le mot cyclone ne signifie pas forcément ouragan, nous faisons en quelque sorte une erreur de langage. Le terme cyclone définit un système météorologique de basses pressions qui tourne dans le sens anti-horaire (système dans l’hémisphère nord). Une dépression est un cyclone. Au niveau des tropiques, lorsque l’on parle de système cyclonique ce n’est donc que la façon de parler de basses pressions qui s’organisent en opposition à un système anti-cyclonique.
Un ouragan c’est quoi ? C’est un système dépressionnaire dont la force des vents dépasse l’échelle Beaufort soit 64 nds et qui finit malheureusement par s’auto-alimenter. Les ouragans possèdent donc leur propre échelle de vent dite « Saffir-Simpson ».
Un ouragan a besoin de plusieurs éléments à minima pour se créer:
– Une température de l’eau élevée (un minimum d’environ 26°C sur une profondeur de 50m)
– Une position géographique suffisamment nord, (éloignée de l’équateur par 5°/10°Nord) pour que la force de Coriolis ait une incidence
– Un faible cisaillement (c’est la différence entre la direction/force des vents de surface et les vents d’altitude)
Si l’un de ces éléments n’est pas favorable, le développement cyclonique va s’en retrouver fragilisé. Un système cyclonique a besoin de vapeur d’eau, c’est pourquoi la température de l’océan influe beaucoup. Plus l’eau est chaude, plus le soleil réchauffe la surface et plus le phénomène de condensation sera important. Vous comprendrez donc que le pic de la saison cyclonique est concentré sur les mois les plus chauds sous les tropiques soit août et septembre. Par ailleurs, un ouragan s’affaiblira de fait en passant au-dessus d’une terre puisque cela jouera sur l’alimentation en humidité du système. Par contre un ouragan par sa puissance et son envergure possède une grande inertie qui lui permet par exemple de traverser de part en part une île des Antilles sans trop s’affaiblir.
S’il n’y a pas ou peu de vent, ou encore si les vents d’altitude et de surface sont de même force et direction, la convection (l’air humide qui monte) aura un terrain propice à son développement. Là encore les mois d’août et septembre sont des mois favorables à la formation de système cyclonique étant donné la faiblesse des alizés. Pour finir, si ce phénomène se situe à plus que 5°/10°N, la force de Coriolis entraîne la rotation des masses nuageuses, le dernier élément nécessaire à la genèse d’un cyclone. Ici nous rencontrons l’importance du fameux Anticyclone des Açores. Pendant la saison estivale, il a tendance à monter légèrement au nord ce qui permet à la ZITC (Zone InterTorpicale de Convergence) de remonter elle aussi et donc de s’éloigner de l’équateur. Les masses nuageuses et humides du pot-au-noir seront potentiellement suffisamment nord pour bénéficier de la force de Coriolis.
L’arc antillais a été par chance épargné cette saison 2020, notamment grâce à une brume de sable dense qui recouvrait par moment tout l’océan Atlantique du Cap Vert aux Antilles. Cette large zone d’air sec qui a duré plusieurs semaines au beau milieu de la saison cyclonique a eu pour effet, à la fois d’assécher l’air et aussi de ralentir le réchauffement de l’océan.
De part leur situation géographique, trop souvent touchés par les systèmes cycloniques tropicaux, et par les moyens qu’ils ont mis en œuvre au fil du temps, les Etats-Unis sont devenus LA référence en matière de veille des systèmes cycloniques. Le National Hurricane Center (NHC), en tant que centre de prévisions météorologiques spécialisé dans les ouragans, a les yeux rivés en permanence sur les océans, les masses nuageuses et leurs potentiel développement. Il se définit comme « la voix calme, claire et fiable de l’Amérique dans l’œil de la tempête »1. Lorsque le NHC surveille une zone douteuse quant à son développement, il la signale en Invest (zone perturbée dont l’activité atmosphérique est surveillée) ce qui ne veut pas dire que l’Invest va forcément se renforcer. La dépression sera le premier stade d’une formation cyclonique, ensuite vous avez la tempête tropicale puis l’ouragan.
Pour faire un point météo fiable, il faut aller chercher les bonnes informations, c’est à dire les organismes nationaux: NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), NHC, les bulletins expertisés de Météo France. Ces organismes travaillent avec des professionnels qui expertisent les modèles scientifiques et observent avec leurs propres outils. Ce sont les seuls qui font des analyses. A contrario, les fichiers Gribs divulgués par Windy, Windguru, etc ne font aucune analyse, ils compilent juste les données disponibles. Il y a un article écrit par Olivier Tisserand sur son site internet qui vous expliquera bien mieux que moi le fonctionnement des fichiers Gribs:
https://www.meteo-tropicale.fr/windy-cest-quoi/
Par ailleurs, il existe de nombreux sites internet non-officiels de météo tropicale. Ne prenez pas tout pour argent comptant. Vérifiez la fréquence de mise à jour et leur commentaires, tous ne sont pas pertinents. Et surtout n’écoutez pas les messages qui circulent sur les réseaux sociaux souvent alarmistes d’ailleurs, tant qu’ils ne font pas référence aux organismes de météo reconnus.
Pour conclure, si un système cyclonique menace directement le territoire sur lequel vous vous trouvez, prenez en compte les prévisions météo et surtout les avis d’alerte des autorités locales qui sont en lien avec le NHC. En l’occurrence pour les DOM-TOM il s’agira de Météo France. La météo est une histoire de prévisions et non de prédictions!!! Les prévisions météorologiques sont fiables environ à trois jours (72H) en métropole, sous les tropiques, c’est aussi un délai raisonnable, en gardant quelques réserves tout de même. Au-delà (120H et plus), nous pouvons parler que de tendances, et encore… Sous les tropiques il y a tellement d’incertitudes liées à tous les paramètres qu’il faut prendre en compte, que la règle d’or est la patience. Si on ne sait pas, on ne sait pas!! Il sert à rien de spéculer!!
Si un cyclone arrive dans 3 jours
Une alerte cyclonique ne se prend pas à la légère. Il faut être prêt!! Soyez sérieux et lucide, renseignez vous et imaginez le pire pour vous poser les bonnes questions. Vous n’aurez pas le temps de tout faire dans l’urgence, il faut anticiper!!! Un cyclone ce n’est pas seulement des vents d’une puissance extrême, c’est aussi des pluies torrentielles, une houle destructrice doublée d’une montée des eaux. Après le passage d’un cyclone tout est dévasté: pensez à l’avant mais n’oubliez pas l’après.
Protection du navire :
Au port, à sec, trou à cyclone, quitter la zone… Chaque option aura des conséquences bien particulières. Estimez le temps dont vous avez besoin pour protéger votre bateau et démonter les apparaux. N’oubliez pas que les navires voisins peuvent être un danger pour le vôtre. Pensez au pillage et à l’assurance de votre navire.
Protection de la vie humaine:
Personne ne doit rester à bord d’un navire lors d’une alerte cyclonique!!!! Avec quel moyen de transport allez-vous préparer votre mise à l’abri. Abri cyclonique municipal ou maison en dur? Si vous prenez l’option de la maison, il faudra qu’elle soit prête elle aussi, pensez au temps supplémentaire que cela vous demandera.
Boire et Manger :
Avoir en permanence pendant cette période une réserve en eau potable et en nourriture disponible à tout moment pour un minimum de 4 jours. N’oubliez pas d’y ajouter un kit d’urgence, vous trouverez facilement des exemples de listes sur internet qu’il vous faudra personnaliser. Les magasins seront pris d’assaut, encore une fois, ANTICIPEZ!!!
Check-liste pour désarmer un voilier
Enlever génois et grand-voile
Démonter et rentrer la bôme
Démonter la capote, le bimini, arrimer ou démonter les arceaux
Arrimer les pare-battages les uns aux autres et sous la coque
Installer des pneus en plus de vos pare-battages (avec une housse de protection)
Arrimer la barre
Arrimer le capot de baille à mouillage
Installer l’étai largable
Démonter les filières et chandeliers
Rentrer le radeau de survie
Rentrer l’annexe
Rentrer les manivelles
Démonter toutes les poulies de pont
Démonter l’éolienne, étancher les câbles électriques
Démonter les panneaux solaires, étancher les câbles électriques
Démonter l’échelle de bain, plateforme arrière
Enlever les sceaux, bouée couronne, perche IOR, bidons extérieurs
Enlever le moteur de l’annexe
Démonter l’électronique extérieur
Enlever le radôme du radar, antenne GPS, étancher les câbles électriques
Démonter et remonter à l’envers l’antenne VHF puis la scotcher au mât
Envoyer les drisses en tête de mât avec un nœud d’arrêt
Débrancher bouteille de gaz
Étancher les manches à air, aération moteur
Étancher les descentes
Faire le plein de gasoil
Fermer toutes les vannes
Couper les coupes-circuits
Stocker à terre les papiers du navire et assurance
Modèles et runs
Vous entendrez parler de « modèles » avec des abréviations telles que GFS, ECMWF et bien d’autres encore. Ces modèles sont en fait des algorithmes qui permettent de prévoir (et non prédire) les évolutions de l’atmosphère à partir d’observations réelles. Les technologies sont de plus en plus performantes mais le réchauffement climatique les mènent à rude épreuve puisque les phénomènes météorologiques ont des développements inattendus. Ces « modèles » prévoient à la fois une direction et une force. Il existe une dizaine de modèles celui de l’Europe, des États-Unis, du Japon, de la Grande Bretagne, etc. Il y en a des plus ou moins optimistes, et d’autres plus ou moins pessimistes. Ce qu’il faut savoir, c’est que tant qu’il n’y a pas de consensus entre la majorité des modèles, c’est que la réponse est : « on ne sait pas ce qu’il va se passer dans ces prochaines heures. ». En général, il n’y a pas consensus parce qu’on est qu’au tout début de la formation d’un système cyclonique, ce qui équivaut à des prévisions au-delà de 120h donc peu fiable pour en tirer des conclusions. Pour les courbes de direction d’un cyclone, même s’il y a consensus, comme nous parlons de PRÉVISIONS, une marge d’erreur de 100km n’est pas du luxe. En sachant que les canaux entre les îles des Antilles mesurent entre 46 km pour les plus petits et 100km pour les plus grands… je vous laisse faire vos conclusions. Vous entendrez aussi parler de « run » ce sont tout simplement les bulletins émis toutes les 6h par les « modèles ». Ce ne sont que des données brutes, une expertise par des professionnels est indispensable c’est pourquoi je donne en référence le NHC.
Attention aux références
Il n’y a pas de mauvaises questions, il n’y a que celles que l’on ne pose pas. Par exemple, les heures TU, UT, UTC et Z signifient le temps universel au méridien de Greenwich, à ne pas confondre avec GMT, EDT, CDT, AST etc. Qui sont des heures locales et donc varient en fonction de la longitude. De même, vous vous apercevrez en regardant que les cartes n’ont pas toutes les mêmes références pour les heures ni pour la force du vent souvent en nœuds mais aussi en mph c’est-à-dire miles par heure soit 1,609 km par heure.
Les sites web que je consulte
Voici les adresses des sites que je consulte quotidiennement, ce n’est pas une liste exhaustive loin de là, mais que j’estime suffisante pour compiler un minimum de données et se forger une opinion honnête d’un système en cours de développement. Ces sites internet sont tous gratuits.
www.cotweb.com
Ce site web référence la météo marine du monde entier avec des pages dédiées, notamment sa page « Phénomènes en cours » qui centralise entre autres la page des prévisions cyclonique du NHC.
www.nhc.noaa.gov Ce sont les organismes nationaux, les sites officiels américains de météo: le National Hurricane Center et le National Océanic and Atmospheric Admnistration. Vous y trouverez toutes les cartes possibles et imaginables en météo, il suffit de chercher mais c’est un coup à vous perdre aussi. J’utilise surtout les bulletins quotidiens qui sont situés en page d’accueil et les photos satellites prises en temps réel.
www.nhc.noaa.gov
Sur la page nhc.noaa.gov/satellite.php Dans la rubrique Atlantic Wide View – visible – cliquez sur « image ». Attention, ce ne sont pas des clichés radar donc quand la nuit tombe, vous n’y verrez plus rien.
weather.gov/marine/radiofax_charts
Ayant l’habitude de la radio BLU (ce sont les cartes que l’on peut recevoir via radio BLU associé a un ordinateur), je regarde aussi les fac-similés. Choisissez votre zone, pour les Antilles par exemple « Gulf of Mexico, Carib,TROP Atlantic, and SE PAC. Vous y trouverez des cartes de vent, houle, des analyses de surface et prévision à trois jours (carte isobarique), une carte sur les zones de danger liées aux cyclones et une image satellite. Mise à jour à intervalles réguliers. Ce service se sert évidemment des données de la NOAA et du NHC.
www.meteo-tropicale.fr
Olivier Tisserand a récemment (2020) créé sont site de météo tropicale, il y recense toutes les cartes nécessaires à une vision large du ou des phénomènes en cours : cartes de cisaillements, de température de l’eau, de qualité de l’air (sec ou humide)… Le seul site non officiel que je recommande (évidemment je ne les ai pas tous consultés) mais je sais que je peux faire confiance en celui-ci. Les analyses d’Olivier Tisserand sont pertinentes et humbles.
Voici en lien un article sur le risque cyclonique.
https://www.meteo-tropicale.fr/comprendre-la-notion-du-risque-cyclonique-aux-antilles/
Présentation de l’auteur
Maud Zanlonghi, je suis diplômée de la marine marchande et jeune enseignante de la voile habitable. J’ai commencé mon apprentissage en météorologie avec la formation de capitaine 200 voile et je l’ai poursuivit de manière autodidacte.
Nous étions partis, mon ami Gaël Frébourg et moi, en Gin Fizz pour un tour de l’Atlantique d’un an depuis septembre 2019. Ce n’était pas prévu de passer la saison cyclonique aux Antilles, mais les aléas ont fait que si… Stoppés en Guadeloupe par la COVID avant le début de la saison et ce pour une durée indéterminée. Depuis le début de la saison cyclonique, tous les jours sans exception j’ai fait un point météo, souvent plusieurs fois par jour quand les conditions le requièrent.
Nous sommes finalement rester un an sur place et le « voyage » à duré 2 ans.